Solidarité sociale, essai de définition

C’est en 1893, dans son travail de thèse, « De la division du travail social », que le sociologue Émile Durkheim utilise pour la première fois le terme « solidarité sociale ». Il n’existe pas pour autant de définition universelle de ce concept. Cette notion faisant partie de l’ADN de la Fondation – ne serait-ce que par sa présence dans ses statuts – , il s’est avéré essentiel pour elle de proposer sa définition de la solidarité sociale. Son objet principal : en dessiner les contours dans la perspective du choix et de la production de sujets pour la base de connaissances Solidarum et les publications créées à partir de ce socle de contenus.

Bornes extérieures (ce que n’est pas la solidarité sociale)

Elle n’est pas la solidarité nationale déléguée à l’État et généralisée à un territoire tout entier ou entrant dans les champs d’action du paritarisme (employeurs/salariés), même si un grand nombre d’associations ou d’établissements de solidarité sociale sont en partie financés par la puissance publique ou bénéficient de délégations de service public.
Exemples : la sécurité sociale, la protection de l’enfance, l’assurance chômage, le logement social…

Elle n’est pas l’aide internationale par des ONG ou des organisations interétatiques.
Exemples : selon nous, des médecins français allant passer quelques mois en Afrique pour opérer des patients relèvent de l’aide humanitaire internationale et non de la solidarité sociale.
Contre-exemple : à l’inverse, ces mêmes médecins passant plusieurs mois à former leurs collègues africains pour qu’ils puissent eux-mêmes réaliser les interventions peuvent relever de la solidarité sociale.

Elle n’est pas la solidarité individuelle.
Exemples : acheter français, boycotter des marques non éthiques, signer des pétitions, manifester, recycler… ne relèvent pas de notre définition de la solidarité sociale.

Elle n’est pas instrumentalisée à des fins politiques, confessionnelles ou économiques.
Sa vocation première n’est donc pas l’engagement idéologique et politique, même si elle peut contribuer par son action à faire évoluer nos sociétés.
Exemples : les actions écologiques pour nettoyer les océans ou sauver les baleines ne relèvent pas directement de la solidarité sociale ; les mouvements altermondialistes, parce qu’il ont d’abord un objectif politique de changement de société, ne relèvent pas directement et en tant que tels de la solidarité sociale.
Contre-exemple : en revanche, l’initiative Bamboo Bike, qui a permis la création d’une véritable entreprise réalisant des vélos en bambou, durables et écologiques, ET formant des jeunes Africains à la construction de vélos pour leur procurer un travail et leur permettre ensuite de former d’autres jeunes, relève bien de la solidarité sociale. L’initiative première est en effet de l’ordre de la solidarité sociale (accès à la formation et à l’emploi), et elle inclut une dimension écologique allant dans le même sens.

Champs d’action

BESOIN : la réponse à un besoin majeur, nouveau ou non satisfait.
Exemples : les soins palliatifs dans les années 1980 ; l’accueil des migrants et réfugiés aujourd’hui, y compris lorsqu’il s’agit de mineurs isolés.

ACCÈS : corriger une inégalité d’accès (à l’eau, à la nourriture, au logement, aux soins, à la culture, à l’instruction, etc.).
Exemple : ouverture à la culture et aux entreprises pour les jeunes du lycée professionnel de la Fondation Cognacq-Jay ; Fondation Abbé Pierre pour l’accès au logement.

LIEN SOCIAL : préservation et développement du lien social par l’accompagnement ou la sortie d’isolement pour des publics spécifiques, par des modes de management ouverts ou participatifs, etc.
Exemples : réinsertion sociale et si possible professionnelle des résidents des ACT (Appartements de coordination thérapeutique) ; application de géolocalisation mise en place par l’association Les petits frères des Pauvres permettant la mise en relation de voisinage avec des personnes âgées.

Échelle

La solidarité sociale n’est pas « de masse ». Elle se caractérise par le travail sur les cas singuliers et l’échelle réduite, c’est-à-dire sur le local. Le nombre de personnes concernées comme la taille de ses territoires d’action sont le plus souvent réduits et précisément localisés. Les actions de solidarité sociale naissent donc du qualitatif plutôt que du quantitatif.
Cela pose d’ailleurs la question de leur transférabilité ou de leur généralisation à plus grande échelle, voire simplement de leur montée en charge.
L’échelle de la solidarité sociale est intra-sociétale : elle est conçue par des individus d’une « société » pour des individus de la même société. Elle est en effet fondée sur une compréhension intime des besoins de chacun, une proximité forte entre les acteurs mobilisés et un temps d’action dont la longueur ne peut se limiter à une intervention ponctuelle ou sporadique.

Modalités d’action

L’action en solidarité sociale est fondée sur un principe d’entraide et se reconnaît par certaines manières de faire et par des récurrences de fonctionnement.

Elle concerne une personne dans son intégralité, pas une action ponctuelle, une activité spécifique, un organe, un produit.
Exemples : l’hôpital, le foyer d’accueil médicalisé ou l’institut médico-éducatif soignent des personnes, pas une maladie ou un handicap ; la Fondation Abbé Pierre ne s’occupe pas seulement de trouver un logement, mais apporte un suivi et un accompagnement social de la personne ou de la famille.

Elle s’adresse à des acteurs qui sont parties prenantes de la solidarité sociale.
Exemples : les établissements de la Fondation Cognacq-Jay partent de la personne, de ce qu’elle est, de ce qu’elle peut, de ce qu’elle veut, pour définir un protocole de soins, un projet personnalisé ; l’action de mise en relation de voisinage avec les personnes âgées organisée par Les petits frères des Pauvres apporte autant à toutes les personnes concernées ; il s’agit donc d’un échange, d’une entraide et pas uniquement d’une assistance.

Elle se pense sur le temps long : accompagnement, suivi, parcours de vie, avec un avant et un après qui sont pris en compte au même titre que le moment de l’action de solidarité sociale en tant que telle. Elle ne peut donc être juste ponctuelle, immédiate et circonscrite à un temps court sans le moindre suivi.
Exemple : la médecine d’accompagnement et de soins de suite dans les hôpitaux de la Fondation, avec un souci du parcours avant et après et donc la mise en place d’une éducation thérapeutique pour garantir une observance des soins et de l’hygiène de vie après la sortie du cadre hospitaliser ou médico-social.

Elle est presque toujours hybride : elle concerne plusieurs champs à la fois, car elle s’adresse avant tout à l’être humain sous ses différentes facettes. Même lorsque son point de départ est un besoin précis, comme par exemple l’eau, le logement ou les soins, son action lui permet de répondre à des nécessités sociales bien plus larges, de façon directe ou indirecte.
Exemple : la forte dimension d’accompagnement social dans les établissements de la Fondation Cognacq-Jay, même dans ceux qui ont la plus forte dimension technique comme ses deux hôpitaux.
Exemple : l’initiative FLO, qui procure aux jeunes filles vivant dans des zones rurales isolées de pays en voie de développement un kit économique permettant de laver, sécher et réutiliser des serviettes hygiéniques, n’a pas seulement un but sanitaire mais aussi social et culturel : limiter la stigmatisation, éviter l’absentéisme scolaire, aider à la construction d’une parité au quotidien entre filles et garçons…

Elle naît d’une prise de responsabilité individuelle ou semi-collective, d’une initiative bottom-up.
Exemple : l’action des Cognacq-Jay en 1916.
Contre-exemple : le congélateur communautaire Inuit permet une solidarité sociale interne entre les familles pouvant chasser et celles ne le pouvant pas (maladie, veuvage, vieillesse, etc.). MAIS il s’agit d’une initiative du gouvernement canadien, dans le cadre d’un protocole signé avec les Inuits, et financé par ce même gouvernement. Cette initiative ne relève donc pas directement de la solidarité sociale telle que nous l’entendons, mais plutôt de la solidarité nationale.

Elle est menée dans une posture de respect, d’empathie, d’éthique du rapport à l’autre, d’ouverture.
Exemple : les jeunes du lycée professionnel parlent d’une grande famille pour se référer à leur établissement et à l’équipe enseignante, car les relations qu’ils tissent avec eux au quotidien et sur le long terme vont bien au-delà de l’enseignement.
Contre-exemple : une plateforme de financement éthique propose effectivement d’investir dans des projets de solidarité sociale (ou de protection de la nature). Néanmoins, si son objectif premier est celui de l’investissement rentable et rémunéré pour les internautes et pour la plateforme (commission), elle ne rentrera pas directement dans le cadre de la solidarité sociale telle que nous la définissons.

Elle fonctionne via des structures petites ou décentralisées, agiles, déhiérarchisées, décloisonnées (entre types de métiers), collectives et pluridisciplinaires, adaptatives et évolutives, notamment grâce à la marge de manœuvre qui est donnée aux différents acteurs.
Illustration : les initiatives de solidarité sociale reposent le plus souvent sur des associations, des coopératives ou des fondations à l’organisation souple et peu hiérarchique ; elles sont parfois l’occasion d’innover en matière de gouvernance, par le caractère horizontal et collégial de leur fonctionnement.

Les structures de solidarité sociale travaillent souvent en réseau avec d’autres partenaires sur le territoire local, justement pour pouvoir accomplir leur mission globale de s’adresser à la personne dans son intégralité et pas seulement de résoudre un problème ponctuel. Elles contribuent ainsi à développer un réseau d’accompagnement et de réponse plus riche et plus englobant.
Exemple : Les ACT (Appartements de coordination thérapeutique) de la Berlugane (pour prendre une illustration précise, mais tous les établissements de la Fondation entrent dans ce cas de figure) travaillent en collaboration avec de nombreux acteurs associatifs et publics de l’arrondissement, pour répondre aux différents problèmes ou besoins rencontrés par les résidents : alphabétisation, formations diverses, activités artistiques et culturelles, ateliers organisés par d’autres ACT, etc.